Que change le contexte austéritaire pour le pilotage des collectivités ?, par Léonard Gourbier
La crise économique et financière de 2008 a eu de graves conséquences sur l’état des finances publiques mondiales. A partir des années 2010, les collectivités territoriales françaises ont également ressenti l’effet de cette crise (réformes de la fiscalité locale, baisse de la DGF, contrats de Cahors…). Dans le cadre de nos recherches, nous avons cherché à comprendre l’effet de ce nouveau contexte austéritaire sur le pilotage des collectivités territoriales. Nos résultats illustrent l’ampleur des transformations opérées tant dans les pratiques que dans les outils de pilotage de ces organisations.
Par Léonard GOURBIER
Comment caractériser l’environnement des collectivités territoriales après la crise de 2008 ?
A partir des années 2010, les collectivités territoriales françaises ont commencé à ressentir l’onde de choc de la crise économique et financière de 2008. Cela s’est traduit par la dégradation de leur environnement économique et social direct mais aussi et surtout par l’émergence de contraintes budgétaires très fortes. Il y a eu la réforme de la fiscalité locale, la baisse de la DGF de 13 milliards d’euros ou encore les contrats de Cahors pour encadrer leurs dépenses de fonctionnement.
Les collectivités sont donc entrées dans un contexte très spécifique que l’on appelle contexte austéritaire. Il s’agit d’une situation paradoxale dans laquelle l’organisation est confrontée à une baisse de ses ressources (financières notamment) et, en même temps, à une augmentation de la demande en service public. Il faut noter que cette hausse de la demande est aussi bien quantitative – avec une hausse du volume de service public à produire – que qualitative – avec une hausse des attentes de la population en matière de qualité des services publics.
Ce que la recherche nous dit, c’est que ce contexte austéritaire est source de changements majeurs pour les organisations publiques. Tant dans la manière de produire le service public que dans la manière de piloter l’organisation. Et c’est sur deuxième aspect que nous avons focalisé nos recherches.
Qu’est-ce que ce contexte austéritaire a changé pour le pilotage des collectivités territoriales ?
Lorsqu’on s’intéresse au pilotage des collectivités au sens large, on se rend compte que le contexte austéritaire a induit de nombreux changements.
D’abord, de façon très prévisible, on a observé un renforcement très fort du contrôle budgétaire et financier des collectivités. Cela s’est traduit par une restructuration des procédures de préparation budgétaire avec davantage de standardisation et d’analyse, de justification des dépenses à inscrire au budget. On a également observé qu’en cours d’exercice, le contrôle du budget était beaucoup plus strict avec un suivi très fin de l’exécution des dépenses, une implication très forte des directions financières et la production régulière de tableaux de bord budgétaires.
Mais ce qui est intéressant c’est que cette logique budgétaire et financière s’est étendue dans l’organisation au-delà de l’outil budgétaire lui-même. On a vu les organigrammes évoluer pour créer de grandes directions générales « support » dédiées au pilotage des ressources. Mais aussi des directions administratives et financières décentralisées à l’intérieur des directions opérationnelles. Ces structures ont permis de diffuser une culture budgétaire dans l’ensemble des services des collectivités.
Car, la culture des collectivités a également énormément évolué sous l’effet du contexte austéritaire. En effet, au cours des dernières années, on a vu arriver des managers avec un nouveau profil, très sensibles aux aspects gestionnaires de leur métier et particulièrement à la question de la rationalisation, de l’optimisation des ressources.
On voit donc que le contexte austéritaire a entrainé des transformations globales dans le pilotage des collectivités territoriales.
Donc la crise a été bénéfique pour les collectivités territoriales ?
Alors si on peut considérer que le contexte austéritaire a entrainé une professionnalisation du pilotage budgétaire des collectivités territoriales, il a eu aussi des conséquences très néfastes pour ces organisations.
Du point de vue de leur pilotage, d’abord, la focalisation sur la performance budgétaire a amené ces organisations à délaisser d’autres facettes de leur performance.
On a vu que les outils et pratiques destinés à piloter la performance opérationnelle ou la qualité des services publics avaient été globalement délaissés. De plus, les années de crise semblent avoir changer les équilibres internes en donnant davantage de pouvoir aux services supports qu’aux services opérationnels qui sont ceux qui produisent le service public.
Du point de vue organisationnel, il y a eu également des impacts assez négatifs. Les coupes budgétaires opérées au niveau des effectifs ont entrainé une intensification de l’activité des agents des collectivités qui commencent à ressentir une grande fatigue. Et plus globalement, les capacités stratégiques des collectivités ont été érodées par les années de rationalisation budgétaire. Si bien que lorsque qu’il faut lancer de nouveaux projets, les collectivités peinent à trouver les moyens humains ou financier pour assurer ces nouvelles missions.
Quels seront les enjeux pour les années à venir ?
Dans un monde post-crise du COVID, la question sera celle de la sortie du « quoi qu’il en coûte » et de la réduction de l’endettement de l’État. Il faudra alors voir si les collectivités territoriales sont à nouveau associées à l’effort de redressement des finances publiques et dans quelles mesures.
A l’avenir, l’enjeu sera de sortir d’une logique budgétaire devenue très prégnante dans le management des collectivités locales. Les aspects budgétaires sont importants mais ne peuvent pas être les seuls critères de la prise de décision publique. Il est également important de prendre en compte les autres aspects de la performance, qu’ils soient opérationnels, environnementaux ou sociétaux.
Et cela est d’autant plus vrai dans un contexte où de nouvelles économies seraient nécessaires, et où il serait fondamental que les acteurs aient une visibilité sur les impacts des économies réalisées.
Mais sur ce point, on peut être raisonnablement optimiste car on voit que de plus en plus de collectivités intègrent dans leur pilotage des enjeux plus large que les seuls enjeux budgétaires. La multiplication des démarches de budgets verts, de budgets genrés, de budgets participatifs sont le témoin de cette volonté d’ouverture.
On est donc peut-être à l’aube d’une nouvelle phase d’évolution du pilotage des collectivités territoriales, dans une période de crise qui ne serrait plus seulement économique et financière, mais multifacette.
Léonard GOURBIER
Maître de conférences
Université Paris Dauphine/PSL
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Gabriel Plumelle (10 février 2022). Que change le contexte austéritaire pour le pilotage des collectivités ?, par Léonard Gourbier. Public ! Consulté le 6 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pw9v
