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Performance globale : y a-t-il un pilote dans l’organisation publique ?, par Angèle Renaud

Angèle Renaud est professeure en sciences de gestion à l’université de Bourgogne. Dans cette interview pour Public !, elle s’adresse aux décideurs publics, contrôleurs de gestion et étudiants qui s’intéressent aux enjeux du développement durable. Elle y donne les clés pour comprendre la problématique du pilotage de la performance globale dans les organisations publiques.


Par Angèle RENAUD


Pour répondre aux enjeux du développement durable, les organisations publiques sont invitées à jouer un rôle plus important à l’avenir. Elles doivent assumer leur responsabilité sociétale et contribuer à la performance globale. Des outils de pilotage social et environnemental émergent dans les collectivités territoriales, les hôpitaux, les ministères, les entreprises publiques…

Les fonctions de contrôle de gestion social ou de contrôle de gestion environnemental se développent et se professionnalisent. Ces débuts sont encourageants même si le pilotage de la performance globale se heurte encore à des obstacles techniques, aux résistances aux changements et aux attentes contradictoires des parties prenantes. Néanmoins, ces blocages peuvent être levés en formant des pilotes de la performance globale dans une perspective de comptabilité dialogique et de durabilité forte.

Quels sont les enjeux de la performance globale pour les organisations publiques ?

Pour répondre aux enjeux de la durabilité, les États membres de l’ONU ont adopté en 2015 un programme d’action, appelé Agenda 2030. Cette feuille de route fixe 17 objectifs, qui portent entre autres, sur le climat, la biodiversité, l’énergie, l’eau, mais aussi sur la pauvreté, la santé, l’égalité des genres et la croissance durable…

Comme les entreprises privées, les organisations publiques sont invitées à contribuer aux objectifs de développement durable et à rendre des comptes au regard des effets qu’elles exercent sur la société et sur l’environnement.

Cette responsabilité sociale se traduit concrètement par la mise en œuvre de stratégies RSO dans les organisations publiques, par le pilotage de leur performance globale et par la divulgation des données extra-financières. Par exemple en France, depuis la transposition de la directive européenne du 22 octobre 2014, les entreprises publiques, dépassant certains seuils de chiffre d’affaires et d’effectif, ont l’obligation de publier une déclaration de performance extra-financière (DPEF). Les administrations, les collectivités territoriales et les hôpitaux ne sont pas en reste : ils doivent publier un rapport social unique (RSU) ainsi qu’un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre (BEGES).

De manière générale, les résultats obtenus en matière de développement durable sont regroupés sous le concept de performance globale. Cette performance peut se définir comme l’agrégation des performances économique, sociale et environnementale d’une organisation.

Voyons à présent comment piloter cette performance globale.

Comment piloter la performance globale ?

Il existe une multitude d’outils de pilotage de la performance globale. Contrairement au secteur privé, ils sont encore peu utilisés dans les organisations publiques. Ces derniers se construisent soit de manière dissociée, soit de manière intégrée.

Dans l’approche dissociée, les objectifs du développement durable sont traités séparément, tantôt par le contrôle de gestion social (CGS), tantôt par le contrôle de gestion environnemental (CGE). De nouveaux outils de pilotage apparaissent tels que les tableaux de bord sociaux, les budgets des effectifs et des frais de personnel, le bilan carbone, le budget vert, l’analyse de cycle de vie (ACV), l’Agenda 21 ou les tableaux de bord verts… Ces outils viennent s’ajouter aux outils traditionnels du contrôle de gestion, et ce faisant fournissent une vision segmentée de la performance globale (RSE/RSO). Par conséquent, cette prolifération d’outils peut générer une surcharge cognitive et des risques psychosociaux (RPS) néfastes pour les acteurs de l’organisation.

A contrario, l’approche intégrée vise à traiter de manière équilibrée les trois dimensions de la durabilité au sein d’un même dispositif, par exemple dans un tableau de bord développement durable ou un sustainabilty balanced scorecard (SBSC). Mais cette approche se heurte à des obstacles techniques, aux résistances aux changements et aux attentes conflictuelles des parties prenantes.

En premier lieu, les managers ou contrôleurs de gestion sont démunis pour mesurer les interrelations entre le social, l’économique et l’environnemental. En effet, des indicateurs intégrés sont peu présents dans les tableaux de bord et les corrélations sont rarement analysées. Conscientes de ces difficultés, les organisations internationales telles que la GRI (Global Reporting Initiative) et l’IIRC (International Integrated Reporting Council) tentent de faire évoluer leurs lignes directrices vers une meilleure connectivité des informations financières et non financières.

En deuxième lieu, la mise en place d’une mesure globale de la performance peut se heurter à des résistances aux changements de la part des responsables fonctionnels. Dans une logique de territoire, chaque responsable fonctionnel (DAF, DRH, Directeur environnement…) souhaite conserver dans son domaine spécifique une certaine influence sur les managers opérationnels.

En dernier lieu, l’atteinte d’une performance équilibrée reste problématique en présence d’antagonisme entre les dimensions de la durabilité. Dans le privé par exemple, les dirigeants ont tendance à privilégier la rentabilité financière pour les actionnaires au détriment des objectifs sociaux et environnementaux portés par les autres parties prenantes. Le secteur public est également confronté à des arbitrages inéluctables face aux attentes divergentes des nombreuses parties prenantes et aux ressources contraintes. Ces choix renvoient au modèle de la durabilité faible, le cas échéant, qui consiste à substituer les 3 formes de capitaux en fonction des intérêts des décideurs. Face aux paradoxes du développement durable, certains chercheurs prônent une approche plus radicale, la durabilité forte, qui permettrait de conserver les 3 capitaux, sans les substituer, et de s’engager dans la voie de la décroissance écologique.

Qui sont les pilotes de la performance globale dans les organisations publiques ?

Si la performance globale peut être pilotée par divers acteurs au sein des organisations publiques, le chef d’orchestre reste le responsable développement durable. Il est aussi appelé responsable RSO ou responsable QSE (qualité sécurité environnement).

Ses missions consistent à définir et adapter la stratégie RSO en fonction de l’évolution des réglementations, des normes internationales ou des attentes des parties prenantes. Il est également chargé de piloter les actions en interne et de dialoguer avec les parties prenantes. Ses missions peuvent varier selon le secteur d’activité et la taille de l’organisation. Par exemple, dans les collectivités territoriales, il est surtout chargé du déploiement de l’Agenda 21 local ou d’animer le Plan Climat Air-Énergie Territorial (PCAET). Dans les établissements de santé, il est responsable du bien-être, de la santé au travail, de l’efficacité énergétique ou de la gestion des déchets sanitaires…

Parallèlement à cette fonction, on voit se développer des postes de contrôleur de gestion social ou de contrôleur de gestion environnemental rattachés à la DRH ou à la direction financière. La mission du contrôleur de gestion social consiste à piloter la performance socio-économique de l’organisation publique et à réaliser les reportings et enquêtes RH. Le contrôleur de gestion environnemental, plus récent dans le secteur public, est chargé de mettre en place des outils de pilotage (tels que la comptabilité carbone, les budgets verts, les tableaux de bord environnementaux) et de contribuer au reporting extra-financier de l’organisation. Il est également le business partner des opérationnels.

De part leur mission d’intérêt général, les organisations publiques doivent assumer leur responsabilité sociétale et créer de la performance globale. Pour l’heure, l’incitation prévaut sur l’obligation car toutes les organisations publiques ne sont pas soumises à la publication d’un rapport extra-financier. En outre, le pilotage de la performance reste problématique face aux obstacles techniques, aux résistances aux changements et aux objectifs contradictoires. Cela dit, la formation de nouveaux pilotes de la performance globale pourrait contribuer à lever ces blocages. Des formations spécialisées en contrôle de gestion social, contrôle de gestion environnemental ou contrôle de gestion public devraient favoriser le développement des compétences spécifiques dans une perspective de comptabilité dialogique et de durabilité forte.

Angèle RENAUD
Professeure des universités en sciences de gestion à l’université de Bourgogne
Directrice du Centre de recherche en gestion des organisations


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (13 janvier 2022). Performance globale : y a-t-il un pilote dans l’organisation publique ?, par Angèle Renaud. Public ! Consulté le 2 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pw9r


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