L’engagement dans l’organisation : retour sur une étude exploratoire, par François Chabanon et Alexandra Couston

L’engagement organisationnel représente un enjeu majeur pour toutes les organisations, tant dans le secteur public que privé comme l’attestent plusieurs rapports publics récents. Dans le cadre de cette étude, nous avons choisi de comparer deux groupes spécifiques : des militaires et des auditeurs de cabinets d’audit. Le milieu militaire est souvent cité pour l’implication forte de ses membres, particulièrement dans des contextes exigeants, tandis que les cabinets d’audit sont connus pour attirer de jeunes diplômés mais souffrent d’un taux de rotation élevé de leurs collaborateurs. Notre étude exploratoire s’intéresse à ces deux secteurs en raison de leurs dynamiques contrastées en matière d’engagement et de rétention des talents. D’un côté, l’adhésion et la stabilité des équipes militaires offrent des pistes pour comprendre les facteurs favorisant un engagement durable. De l’autre, malgré l’attractivité de la profession d’auditeur, le taux de départ volontaire semble indiquer des difficultés à maintenir cet engagement sur le long terme. Cette analyse comparative qualitative apporte ainsi un éclairage sur les dynamiques communes et les pratiques de gestion des ressources humaines qui pourraient être transférées entre ces secteurs, ouvrant la voie à des stratégies d’engagement plus efficaces dans divers contextes organisationnels.

Contributions théoriques à l’engagement organisationnel

L’engagement organisationnel fait référence à la mesure dans laquelle les individus s’identifient à leur organisation, adhèrent à ses objectifs et souhaitent y rester (Mowday, 1998 ; Tremblay, Guay et Simard, 2000). Plus récemment, Orgambidez et Benitez (2021) ont décrit l’engagement organisationnel comme l’attachement et l’identification d’un individu à une organisation, motivés par la croyance en ses objectifs et l’adhésion à ses valeurs. Un niveau élevé de concentration et d’implication de la part des employés améliore non seulement leurs performances, mais contribue également à atteindre les objectifs de l’organisation tout en générant des sentiments positifs sur le lieu de travail. Ces expériences positives renforcent les liens affectifs des employés avec leur entreprise. De plus, Al Otaibi et al. (2022) suggèrent que les employés bénéficiant d’une autonomisation psychologique accrue montrent un engagement plus fort envers leur travail et leur organisation. Cet engagement, essentiel pour la performance des organisations, comprend des dimensions psychologiques, comportementales et émotionnelles (Meyer et Allen, 1997). Le modèle tridimensionnel de Meyer et Allen (1997) décrit l’engagement sous trois aspects : affectif, de continuité et normatif, soulignant la complexité de cette notion et son impact sur la dynamique organisationnelle. Pour les organisations, encourager cet engagement passe par la reconnaissance des efforts, l’écoute des préoccupations et une communication réciproque et transparente. Ces pratiques renforcent le sentiment d’appartenance, créent un environnement de travail positif, et favorisent la motivation, la fidélité, ainsi que la collaboration au sein des équipes. Meyer et al. (2002) soulignent l’importance d’une communication à double sens pour maintenir un haut niveau d’engagement, ce qui permet de construire un climat de confiance et de collaboration. Cependant, les approches de l’engagement organisationnel présentent certaines limites. Elles se concentrent souvent sur des comportements observables et mesurables, tels que la performance et la productivité, sans toujours prendre en compte des éléments comme le turnover, l’absentéisme ou les retards, qui peuvent être des indicateurs de désengagement. De plus, la performance extra-rôle, c’est-à-dire les comportements volontaires des employés qui dépassent les attentes de leur rôle formel, est souvent associée à l’engagement, mais sans être systématiquement quantifiée. Les recherches de Mathieu et Zajac (1990) montrent que l’engagement est un prédicteur significatif du turnover, bien que cet aspect soit parfois sous-estimé dans la littérature existante.

Méthodologie de la recherche

Dans le cadre de cette étude, une approche méthodologique qualitative, privilégiant les entretiens semi-structurés, a été adoptée. La sélection des participants a été réalisée avec soin pour garantir une représentation adéquate des deux populations étudiées : les militaires et les professionnels de cabinets d’audit. Les participants incluent des officiers, sous-officiers et soldats du rang des trois branches principales de l’armée française (armée de terre, armée de l’air et marine nationale), ainsi que des collaborateurs, experts-comptables et associés de cabinets d’audit. Un guide d’entretien flexible, intégrant des questions ouvertes, a été élaboré pour encourager les participants à partager librement leurs expériences et points de vue. Les entretiens ont été réalisés en deux formats : en présentiel et à distance via l’application Teams. Les données recueillies ont été soigneusement organisées et analysées en suivant une approche d’analyse thématique. Cette méthode a permis d’identifier des thèmes récurrents et des concepts-clés liés aux déterminants de l’engagement au sein des armées et des cabinets d’audit. Treize entretiens ont été réalisés avec des militaires et des professionnels de l’audit, avec une diversité des grades et fonctions pour chaque groupe. Les entretiens ont été menés entre avril et juin 2024, pour une durée variant de 45 minutes à 1 h 30.

Analyse exploratoire auprès de militaires et anciens militaires

Les résultats de l’étude ont mis en lumière plusieurs défis spécifiques, ainsi que les compétences transférables des vétérans vers d’autres secteurs. Un accent particulier a été mis sur l’importance de la formation continue, soulignant la nécessité d’un apprentissage tout au long de la carrière et d’une adéquation entre les besoins individuels et les formations proposées. Les entretiens ont également révélé que les responsabilités et le degré d’autonomie jouent un rôle crucial dans la perception du sens du travail et dans le processus de prise de décision. Le thème du leadership inspirant a émergé de manière récurrente au cours des entretiens. Les militaires ont identifié plusieurs traits essentiels pour un leader inspirant, tels que l’empathie, l’intégrité et la capacité à reconnaître les efforts individuels. L’un des répondants a affirmé : « Un bon leader doit être capable de reconnaître les efforts des employés et de leur fournir des évaluations significatives en retour. » En outre, les pratiques de reconnaissance non monétaire, telles que les retours de la hiérarchie, l’encouragement et le soutien des collègues, ont été identifiées comme ayant un impact significatif sur l’engagement des militaires. La communication est également apparue comme un élément-clé. Les militaires ont insisté sur l’importance d’une transmission claire et bilatérale des informations. L’un d’eux a souligné : « Sans un échange constant d’informations et de retours, il est difficile de savoir ce que l’on attend de nous et de s’aligner sur les objectifs de la mission. » Enfin, la définition de l’engagement a été réévaluée par les participants, qui ont mis en avant des valeurs telles que le devoir, le désir de servir et la discipline comme étant centrales dans leur conception de l’engagement. Ces thèmes, ressortis des entretiens, offrent une compréhension approfondie des facteurs qui nourrissent l’engagement des militaires, mettant en lumière les aspects essentiels de leur perception et de leurs pratiques.

Analyse exploratoire auprès de membres de cabinets d’audit

Les entretiens réalisés avec des experts-comptables, des associés et des collaborateurs de cabinets d’audit, ont permis de faire émerger plusieurs déterminants de leur engagement au sein de leur organisation. Ces professionnels soulignent tout d’abord l’importance de la reconnaissance et de l’écoute au travail, qui renforcent leur sentiment de valorisation et d’accomplissement. Ceci est illustré par un expert-comptable interrogé : « Je dirais que la reconnaissance joue un rôle crucial. Quand les employés sentent que leurs efforts et leur succès sont reconnus, cela booste leur motivation et donc leur engagement ». Une rétribution juste et adéquate, correspondant à leurs efforts et compétences, est également perçue comme un facteur essentiel de leur motivation. En outre, une culture d’entreprise forte, qui favorise un sentiment d’appartenance à l’organisation, contribue grandement à leur engagement. Les professionnels apprécient particulièrement de se sentir intégrés et soutenus dans un environnement qui partage leurs valeurs et objectifs. Une atmosphère positive et conviviale au sein de l’organisation, caractérisée par des relations de travail harmonieuses et un esprit d’équipe solide, est également importante. Enfin, une communication efficace et transparente, qui permet de bien comprendre les attentes et les objectifs de l’entreprise, est indispensable pour maintenir un haut niveau d’engagement. Comme l’affirme un auditeur : « La communication est essentielle pour créer une atmosphère de confiance. C’est cette confiance qui me permet de me sentir à l’aise et de partager mes pensées librement. »

Recommandations identifiées lors des entretiens

Sur la base des treize entretiens approfondis menés en 2024 auprès de collaborateurs de cabinets d’audit et des armées, nous formulons plusieurs recommandations pour renforcer l’engagement des employés, tant dans le secteur militaire que civil. Premièrement, il est essentiel d’instaurer des pratiques régulières de reconnaissance et d’assurer une communication transparente au sein de l’organisation, afin de valoriser les efforts des employés et de renforcer la confiance mutuelle. Un officier l’exprime en ces termes : « Pour nous, il est crucial d’avoir une communication claire et dans les deux sens ». Deuxièmement, la mise en place de programmes de formation continue permet de développer les compétences et l’autonomie des employés, les rendant ainsi plus efficaces et satisfaits dans leur travail. Un répondant déclare à propos de l’autonomie : « Je vois clairement les bénéfices d’une plus grande autonomie au travail et de la participation aux décisions. Cela favorise une meilleure cohésion et un engagement plus fort de tous les membres ». Troisièmement, il convient de promouvoir une culture d’entreprise valorisant l’intégrité, la collaboration et le bien-être des employés. Une telle culture favorise un environnement de travail harmonieux et solidaire, où chacun se sent respecté et motivé à contribuer. Enfin, il est crucial de former les managers à un leadership inspirant et exemplaire, susceptible de motiver et de fidéliser les équipes. Un bon leadership joue un rôle déterminant dans la satisfaction et l’engagement des employés, en instaurant un climat de confiance et en orientant les efforts vers des objectifs communs. Plusieurs répondants en témoignent : « Les qualités de leadership qui facilitent un plus grand engagement sont l’empathie, la clarté de communication, l’intégrité, et la capacité à prendre de bonnes décisions justes et informées. » Ces recommandations visent à créer un environnement de travail plus engageant et productif, où chaque employé se sent valorisé, soutenu et motivé à donner le meilleur de lui-même. Il est intéressant de noter que, malgré les différences entre le secteur militaire et le secteur civil, les collaborateurs interrogés ont souligné l’importance de ces mêmes facteurs pour se sentir engagés. Cette convergence témoigne de l’universalité de certains besoins en matière de management et de ressources humaines.

François CHABANON,
Diplômé Master II  Kedge Business School

Alexandra COUSTON,
Professeur Associé en Marketing au sein de Kedge Business School

Références

Al Otaibi, S. M., Amin, M., Winterton, J., Bolt, E. E. T., & Cafferkey, K. (2022), “The role of empowering leadership and psychological empowerment on nurses’ work engagement and affective commitment”, International Journal of Organizational Analysis, 31(6), 2536-2560.

Mathieu, J. E., & Zajac, D. M. (1990), “A review and meta-analysis of the antecedents, correlates, and consequences of organizational commitment”, Psychological bulletin, 108(2), 171.

Meyer, J. P., & Allen, N. J. (1997), Commitment in the workplace: Theory, research, and application. Sage publications.

Meyer, J. P., Stanley, D. J., Herscovitch, L., & Topolnytsky, L. (2002), “Affective, continuance, and normative commitment to the organization: A meta-analysis of antecedents, correlates, and consequences”, Journal of vocational behavior, 61(1), 20-52.

Mowday, R. T. (1998), “Reflections on the study and relevance of organizational commitment”, Human resource management review, 8(4), 387-401.

Orgambidez, A., & Benitez, M. (2021), “Understanding the link between work engagement and affective organisational commitment: The moderating effect of role stress”, International Journal of Psychology, 56(5), 791-800.

Tremblay, M., Guay, P., & Simard, G. (2000), « L’engagement organisationnel et les comportements discrétionnaires : l’influence des pratiques de gestion des ressources humaines », in Internationalisation de la gestion des ressources humaines ? 2000s-24.pdf (cirano.qc.ca)

---

---