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[Série “Soutenabilités!”] Transition numérique et transition numérique soutenable : quésaco ?, par Anne Faure

France Stratégie a publié en mai 2022 un rapport intitulé Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique. À cette occasion, nous avons cherché à comprendre comment le concept de soutenabilités pouvait se décliner dans des politiques sectorielles – santé, protection sociale, travail, numérique, mais également dans l’organisation de l’action publique. Ces travaux ont donné lieu à la publication de livrets thématiques : les « Cahiers des soutenabilités ». Le cahier dont nous présentons ici les grandes lignes interroge la notion de « numérique soutenable ».

Qu’est-ce que pourrait être un numérique soutenable ?

Levier de soutenabilité ou facteur d’insoutenabilité ? Nos séances de travail ont permis de dégager un constat partagé sur certaines des impasses du développement actuel du numérique. Mais nous avons également identifié des évolutions possibles pour construire des politiques publiques qui concourent à l’inclusion, la réduction de l’empreinte environnementale, le développement de solutions souveraines, ou encore sur la promotion de technologies plus respectueuses des droits fondamentaux et des libertés individuelles.

La technologie rend désormais beaucoup de choses possibles. À l’occasion de la crise sanitaire, nous avons d’ailleurs mesuré combien nous étions individuellement et collectivement dépendant d’Internet. Nous avons pris conscience des nombreux usages devenus essentiels portés par ces outils, mais aussi des risques de dérive quand la maîtrise de la technologie est dans les mains d’un trop petit nombre d’acteurs privés agissant pour leur propre compte.

En l’occurrence, le développement du numérique ne doit pas seulement être mobilisé pour répondre à des exigences d’efficacité, de productivité ou de performance. Il doit aussi être gouverné par des critères d’utilité et de pertinence sociale et prendre en compte les revendications récurrentes de la société civile à l’égard de ces technologies et de leurs promoteurs. Les décideurs publics doivent notamment se mettre en mesure de réguler les plateformes. Ainsi, l’action publique doit réaliser des choix pertinents et trouver des chemins qui permettent d’articuler choix technologiques et intérêt collectif, afin de répondre réellement à des besoins sociétaux compatibles avec la préservation de la planète et de nos modèles sociaux et démocratiques.

Les technologies numériques peuvent-elles contribuer efficacement à la lutte contre le changement climatique et à la mise en œuvre des politiques de transition ?

Beaucoup le croient. Nombre d’élus et de collectivités par exemple sont investis dans des projets de smart city qui doivent permettre de développer une gestion optimisée des ressources dans les territoires (énergie, eau, déchets). Pourtant, les promesses des smart city sont encore difficiles à évaluer et pour certains observateurs leurs effets restent limités.

Plus généralement, le numérique est-il générateur d’externalités positives pour l’environnement, comme le revendiquent les industriels du secteur ?

Difficile à dire quand l’empreinte environnementale du numérique ne cesse d’augmenter et devient un enjeu majeur pour le grand public comme pour les pouvoirs publics. Elle représentait 2,5 % de l’empreinte carbone nationale en 2019 et pourrait augmenter de + 60 % d’ici à 2040, soit près de 6,7 % des émissions nationales de GES, si aucune mesure d’atténuation n’est prise.

La conception d’outils de mesure fiables est certes complexe. En effet, l’impact de la numérisation est systémique et s’opère par une multitude d’effets rebonds quasi impossibles à modéliser. Si l’on sait qu’il existe une massification et une intensification des usages, nous avons encore une vision très incomplète de ce que va être réellement l’impact du développement de nos usages (voir à ce sujet le rapport de France Stratégie sur le développement de l’Internet des objets). Se doter de la capacité à mesurer l’impact du numérique est cependant indispensable, à l’aune de critères qui sont aussi qualitatifs. Pour revendiquer une politique numérique vertueuse et sobre, il ne suffit plus d’afficher une meilleure efficacité énergétique par rapport à celui de la génération précédente, il faut aussi poser la question de l’utilité réelle du produit ou de l’usage et de sa compatibilité avec l’intérêt général (voir à ce sujet les arguments des détracteurs et promoteurs de la 5G dans les débats qui les opposent).

Le numérique favorise-t-il un développement soutenable de nos entreprises ?

Plusieurs études ont conclu à l’effet positif du numérique dans les entreprises au moment de la crise sanitaire. Le numérique a permis d’amortir certains effets de la crise, les entreprises les plus connectées ont mieux résisté que les autres aux chocs successifs des confinements[1]. Parallèlement, les entreprises ont été contraintes, faute d’alternatives, de s’équiper avec des solutions propriétaires (matérielles ou logicielles) proposées par les grandes entreprises mondiales du numérique. On peut craindre qu’au bout du compte, il y ait une forme de captation de la valeur produite par ces entreprises au profit de ces entreprises mondialisées.

La pérennité de notre avenir numérique dépend donc de notre capacité collective à reprendre le contrôle de ces technologies. L’Europe produit moins de 10 % des micro-processeurs dont elle a besoin, alors qu’elle consomme 30 % des capacités des super calculs qui ne sont que 5 % à être localisés sur le territoire. Ces chiffres constituent des signaux d’alerte et soulignent la dépendance des entreprises européennes et françaises à des solutions technologiques étrangères. La soutenabilité numérique passe aussi par la reprise en main des technologies et de leurs usages au niveau européen et au niveau national.

L’État lui-même est-il en capacité de conduire sa transition numérique de façon soutenable ?

L’État peut jouer un rôle moteur dans la définition des orientations d’un numérique responsable. Pour cela il est nécessaire d’articuler les échelles d’action (niveau local, national, jusqu’au niveau européen) et de fédérer tous les acteurs. La puissance publique ne peut agir seule. La mobilisation des collectivités et de communautés plus larges – développeurs, citoyens, investisseurs – est nécessaire et c’est justement cette capacité de l’outil numérique à mobiliser des communautés d’intérêts qui doit être explorée et utilisée. Il faut dépasser le court terme et donner à la puissance publique sa juste place au sein d’une gouvernance collective : l’État n’a pas à décider de tout, mais il est un acteur essentiel, un financeur parmi d’autres qui a vocation à faire émerger des communs numériques[2].

L’achat public reste un levier important de réappropriation de ces outils pointé par une majorité de nos interlocuteurs. Il existe des initiatives nombreuses en matière d’intégration de critères environnementaux dans les procédures d’achat public. Mais les administrations et chefs de projets publics restent souvent empêchés dans leurs choix et leurs stratégies. Par exemple, s’extraire des solutions propriétaires et choisir des plateformes libres ou des solutions basées sur des modes de développement communautaire reste encore aujourd’hui un parcours semé d’embûches.

Il faut quand même souligner que la prise de conscience des enjeux environnementaux du numérique s’accélère dans les institutions publiques (voir à ce sujet les travaux de la Mission interministérielle numérique écoresponsable, MiNum-Eco). Mais pour un numérique soutenable, d’autres dimensions sont à prendre en compte comme la formation des agents publics et l’acquisition de nouvelles compétences. L’attractivité des métiers du numérique au sein des administrations est un enjeu important pour l’avenir, il s’agit non seulement de développer des compétences ad hoc, mais aussi de détecter de nouveaux profils, de diversifier les sources de recrutement sans ignorer les compétences internes existantes qu’il faut mieux exploiter et valoriser.


[1] Voir à ce sujet le rapport de France stratégie, Infrastructures numériques et aménagement du territoire – Impacts économiques et sociaux du Plan France très haut débit, janvier 2023.

[2] Voir à ce sujet l’article du Labo Société numérique qui donne un bon aperçu des différentes notions que recouvre le concept de “communs numériques”.

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (27 juin 2023). [Série “Soutenabilités!”] Transition numérique et transition numérique soutenable : quésaco ?, par Anne Faure. Public ! Consulté le 22 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwb3


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