“Confiance” dans l’Encyclopédie du management public, par Marcel Guenoun
L’Encyclopédie du management public, publiée en 2022 par l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) sous la direction scientifique de Manel Benzerafa-Alilat, Danièle Lamarque et Gérald Orange, propose à travers 220 entrées rédigées par 150 chercheurs et praticiens spécialistes de rendre compte des concepts, théories et écoles de pensée qui caractérisent le management public, en France comme à l’étranger, tout autant que des grandes évolutions qu’ils ont connues. En s’intéressant également à leur contexte d’apparition, à leurs modalités concrètes d’application, à leurs résultats et leurs limites, cet ouvrage permet d’éclairer toutes les phases de l’action publique, depuis sa conception jusqu’à l’évaluation de ses résultats. Avec le souci de diffuser les savoirs en gestion publique, et en écho aux travaux et publications du bureau de la recherche de l’IGPDE, l’équipe de rédaction du blog « Public ! » vous propose de découvrir progressivement une sélection d’entrées de cet ouvrage.
Par Marcel GUENOUN
Venant du latin cum (avec) fidere (fier), la confiance est un acte de foi vis-à-vis d’un être ou d’une chose. Par opposition à la méfiance, la confiance consiste à attendre un acte ou une attitude positive et bénéfique de la part d’une personne physique ou morale. Notion relationnelle par nature, la confiance a été analysée par toutes les sciences sociales pour comprendre et expliquer les mécanismes coopératifs du niveau interindividuel jusqu’au niveau sociétal, au point de constituer un domaine d’étude à part entière.
Selon Lynne G. Zucker (1986), la confiance peut être étudiée à trois niveaux : intuitu personae quand elle est reliée aux caractéristiques propres d’une personne ou d’un groupe, relationnelle quand elle prend appui sur les échanges passés ou la réputation, institutionnelle quand elle est attachée à une structure formelle qui est censée régler le comportement de ses membres. La relation de confiance n’est pas linéaire d’un niveau à l’autre, les enquêtes d’opinion montrent régulièrement que la confiance dans les élus locaux est élevée et peut coexister avec une faible confiance dans les institutions et l’État. Plusieurs études montrent que la confiance est fonction de la proximité, que celle-ci soit géographique ou relationnelle.
Pour la science économique orthodoxe, la confiance renvoie au niveau de risque qu’un agent est prêt à prendre en s’exposant au comportement opportuniste d’un autre, sans avoir formalisé dans un contrat tous les engagements réciproques. Ainsi appréhendée, elle est un calcul rationnel, reposant sur des variables informelles (règles non écrites, expérience, réputation, etc.), qui réduit les coûts de transactions et facilite l’établissement de relations. Elle est une forme de gestion du risque où la tolérance de perte possible est inférieure au gain probable.
À l’inverse, d’autres disciplines voient dans la confiance une suspension du calcul rationnel au profit d’un moteur affectif ou émotionnel qui découle soit de l’état psychologique d’une ou des parties prenantes, soit d’une socialisation. Dans ce dernier cas, les coopérations réussies par le passé et le contexte institutionnel modèlent les représentations des acteurs, ces dernières se matérialisant par un comportement coopératif. Cette attitude coopérative tend à se maintenir, qu’elle concerne les mêmes protagonistes réguliers ou qu’elle s’applique à des relations nouvelles, donc malgré la variation du niveau d’incertitude. La tolérance à la vulnérabilité est, dans cette perspective culturaliste, fonction des normes organisationnelles ou sociales qui encadrent les relations.
La confiance dans le secteur public : notion ambivalente et ubique
La notion de confiance est ambivalente dans les régimes démocratiques car ces régimes entendent susciter la confiance des citoyens dans les institutions politiques et administratives par la reconnaissance d’un droit à la méfiance/défiance. Ce qui relève du secteur « public » doit être placé sous le contrôle du public et de ses représentants afin que ces derniers puissent juger du bon respect des règles communément adoptées. Ce contrôle des agents et institutions par le public doit générer le comportement vertueux des premiers et la confiance des seconds. La création de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) et de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) en France dans les années 1970 visait ainsi à renforcer la confiance des administrés envers les services publics en renforçant leur pouvoir de contrôle sur l’administration. La confiance dans le secteur public ne s’oppose donc pas à la défiance mais se conjugue avec. Comme l’indiquent Peter Oomsels et Geert Bouckaert (2016, p. 8), l’excès de confiance comme l’excès de défiance peuvent être dysfonctionnels. L’excès de confiance peut donner lieu à des abus de pouvoir et à l’absence de remise en cause des échecs, tandis que l’excès de défiance peut bloquer les initiatives, figer les organisations et ainsi générer des coûts d’opportunité.
En ce qui concerne la production de l’action publique, la confiance est à la fois un intrant/ une ressource et un extrant/un effet. Elle est une ressource qui conditionne la possibilité même de l’action publique (alerter la police permet à cette dernière d’agir, mais suppose la confiance du citoyen dans l’aptitude de la police à résoudre ou réparer le problème) et le résultat ultime de l’action publique (la sécurité est une condition de la confiance des citoyens). Toutes les actions et politiques publiques visent à produire la confiance des citoyens dans les institutions et dans la vie elle-même, comme le montre le courant de l’économie du bien-être. Les études internationales menées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2016 et 2017 montrent d’ailleurs la forte corrélation entre le niveau de satisfaction envers les services publics et la confiance dans les administrations publiques.
Depuis trente ans, les décideurs et les médias évoquent continûment une crise de confiance envers l’État, ou le déclin de la confiance, sans que ces affirmations soient parfaitement corroborées par les enquêtes disponibles qui montrent plutôt des fluctuations sectorielles et conjoncturelles (VAN DE Walle, 2008). Cette perception d’une perte de confiance explique l’apparition de politiques publiques œuvrant à sa restauration. En témoigne la création par l’OCDE d’un Trustlab qui vise à consolider les études disponibles afin de conseiller les gouvernements sur les mesures permettant un nouveau pacte de confiance ou encore l’adoption en 2018 en France de la loi pour un État au service d’une société de confiance.
L’émergence récente de politiques publiques visant explicitement et spécifiquement à renforcer la confiance constituera prochainement un nouveau terrain pour l’évaluation de l’efficacité des politiques publiques de la confiance. Un nouveau mythe de Sisyphe pour l’action publique ?
Références
DESMET Étienne, « La confiance dans la relation entre le directeur général des services et le chef de l’exécutif territorial », Executive Doctorate in Public Affairs de l’université Paris-Dauphine, 18 novembre 2020.
FIVAT Étienne, PASQUIER Martial, « Peut-on faire confiance à l’administration ? Une analyse du concept de confiance, appliquée au secteur public », Working paper, Lausanne, Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), 2014.
MANGEMATIN Vincent, « La confiance : un mode de coordination dont l’utilisation dépend de ses conditions de production », dans HARRISSON Denis, MANGEMATIN Vincent, THUDEROZ Christian, Confiance et entreprise, Paris, Gaëtan Morin, 1998.
OOMSELS Peter, CALLENS Marloes, VANSCHOENWINKEL Julien, BOUCKAERT Geert, « Functions and Dysfunctions of Interorganizational Trust and Distrust in the Public Sector », Administration & Society, 2016, vol. 51, n° 4, p. 1-29.
VAN DE WALLE Steven, VAN ROOSBROEK Steven, BOUCKAERT Geert, « La confiance dans le secteur public : existe-t-il des signes d’un déclin à long terme ? », Revue internationale des sciences administratives, 2008, vol. 74, n° 1, p. 51-70.
ZUCKER Lynne G., « Production of trust: institutional sources of economic structure: 1840-1920 », Research in Organization Behaviour, 1986, 8, p. 53-111.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (28 mars 2023). “Confiance” dans l’Encyclopédie du management public, par Marcel Guenoun. Public ! Consulté le 2 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwas