“Participation” dans l’Encyclopédie du management public, par Florian Favreau
L’Encyclopédie du management public, publiée en 2022 par l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) sous la direction scientifique de Manel Benzerafa-Alilat, Danièle Lamarque et Gérald Orange, propose à travers 220 entrées rédigées par 150 chercheurs et praticiens spécialistes de rendre compte des concepts, théories et écoles de pensée qui caractérisent le management public, en France comme à l’étranger, tout autant que des grandes évolutions qu’ils ont connues. En s’intéressant également à leur contexte d’apparition, à leurs modalités concrètes d’application, à leurs résultats et leurs limites, cet ouvrage permet d’éclairer toutes les phases de l’action publique, depuis sa conception jusqu’à l’évaluation de ses résultats. Avec le souci de diffuser les savoirs en gestion publique, et en écho aux travaux et publications du bureau de la recherche de l’IGPDE, l’équipe de rédaction du blog « Public ! » vous propose de découvrir progressivement une sélection d’entrées de cet ouvrage.
Par Florian FAVREAU
La participation du public à la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques, tout comme la participation du public au management des organisations publiques sont l’objet d’une vaste littérature, principalement dans les pays occidentaux, depuis les années 1970.
La participation comme impératif moral
« Les premières recherches de sciences sociales consacrées à la participation du public au processus de prise de décision remontent à la fin des années 1960, au cœur d’une période marquée par un cycle de luttes urbaines et de contestations étudiantes dont sont nées les premières revendications d’une démocratie participative » (BACQUÉ, SlNTOMER, 2011). L’importance du thème de la participation ne fait aucun doute dans certaines disciplines : en urbanisme ou en sociologie, de même que dans le domaine de l’environnement. Dans le monde anglo-saxon, il est possible d’évoquer, plus spécifiquement, un tournant délibératif.
De façon générale, c’est un article de Sherry Arnstein (1969) qui propose la problématisation qui, aujourd’hui encore, est dominante. Cet article renvoie à un idéal de participation véritable des citoyens, considéré comme nécessairement désirable. Dès lors, il s’agit d’évaluer l’impact des dispositifs de participation à la décision et de coproduction, en fonction de cet idéal.
Concrètement, les dispositifs participatifs sont classés et évalués en fonction de l’intensité de la participation, de son caractère ascendant ou descendant, de sa temporalité, de sa base épistémique (place accordée aux savoirs des participants), de son échelle, de ses objectifs ou des catégories de participants concernés. De nombreuses études de cas relatives à ces dispositifs sont disponibles et concernent, par exemple, les référendums locaux, les conseils de quartier, les budgets participatifs, les organes de développement communautaires, les jurys citoyens ou la représentation des usagers.
La participation au service d’une gouvernance locale
Parallèlement, les phénomènes concrets de participation peuvent être décrits et analysés de façon à faire apparaître les mécanismes permettant le maintien d’une participation effective à l’échelle du territoire. Elinor Ostrom propose une lecture de ce type (1990).
L’un des exemples les plus emblématiques utilisé par E. Ostrom – outre les forêts et pêcheries étudiées dans le monde entier – est le cas de Torbel (Suisse). Il s’agit d’un village de 600 habitants. La zone se caractérise par la raideur des pentes et un microclimat, ainsi qu’un faible taux de précipitations et une forte exposition au soleil. Depuis plus de mille ans, la soutenabilité du site est assurée pour des ressources que la théorie dominante en économie désigne comme nécessairement insoutenables en raison du comportement maximisateur ou optimisateur prêté aux acteurs économiques (HARDIN, 1968).
Il s’agit ici de cultures de céréales, légumes, arbres fruitiers, foin et de pâturages (fromage). Cinq types de propriétés sont communes : prairies, forêts, terres incultes, réseau d’irrigation, routes. Les acteurs locaux ont convenu d’une interdiction, pour un étranger, d’acquérir ces biens et d’une limitation du nombre de bovins : pas plus de vaches dans l’alpage qu’il n’est possible d’en nourrir l’hiver (loi d’hivernage). Une association de tous les acteurs est en charge de la gestion des amendes et des frais établis au prorata des terres et des têtes de bétail possédées.
Dans la proposition d’E. Ostrom, le rôle de l’État et des grandes entreprises – deux administrations décrites comme principalement extérieures au territoire – est considéré comme secondaire, voire comme ayant une influence négative lorsqu’il s’agit d’assurer une soutenabilité permise par la participation citoyenne. L’essentiel des stratégies en matière de participation est pensé, dans cette littérature, en termes de gouvernance locale associant un ensemble d’acteurs sur un territoire restreint.
E. Ostrom propose huit principes nécessaires pour que la participation permette la soutenabilité :
- des limites bien définies : les individus possédant les droits de prélever les ressources, d’une part, les ressources concernées, d’autre part, sont définis de façon claire ;
- une concordance entre les règles d’appropriation et de fourniture et les conditions locales : les règles (temps, espace, technologie, quantité) sont liées aux obligations (main-d’œuvre, matériel, argent) ;
- des dispositifs de choix collectifs locaux : les individus soumis aux règles participent à leur modification ;
- la surveillance : surveillants et appropriateurs sont liés, les acteurs locaux se surveillent mutuellement ;
- des sanctions graduelles ;
- des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
- une reconnaissance minimale des droits d’organisation par les autorités gouvernementales ;
- des entreprises imbriquées dans l’appropriation, la fourniture, la surveillance, la résolution de conflit et la gouvernance.
La participation comme ensemble de droits
Dans le domaine juridique, la notion de participation reçoit une définition précise et opérationnelle. Cette définition, utile au management public, est de fait utilisée par les pouvoirs publics.
En droit privé, le participant désigne une entité ne pouvant être qualifiée ni de tiers ni de partie à une convention ou dans le cadre d’une procédure (VIANDIER, 1978). Le conjoint du chef d’entreprise peut, dans certaines conditions, participer aux processus de décision de l’entreprise, sans être un associé. Dans ce cas, il n’est pas non plus un tiers, étranger à l’entreprise. Affecté par l’activité de l’entreprise, il se trouve associé aux processus de décision de cette entreprise.
De même, la participation des salariés à la vie de l’entreprise peut prendre deux formes principales : la participation financière et la participation à la gestion. La première est un outil d’épargne salariale instituant un mécanisme de redistribution des bénéfices de l’entreprise aux salariés, obligatoire dans les entreprises privées et publiques dont l’effectif est de 50 salariés ou plus. La seconde concerne la représentation du personnel dans les organes d’administration ou de surveillance des sociétés, selon une règle du tiers pour les entreprises publiques, plus « généreuse » que dans les sociétés privées. Elle a pour principe d’encadrer la gouvernance de l’entreprise sans que les salariés – qui ne sont pas des tiers – ne deviennent des associés. En France, si l’épargne salariale a peu d’équivalents dans d’autres pays, la représentation du personnel est bien éloignée des formes de codécision et de cogestion des entreprises notamment utilisées dans des pays du Nord de l’Europe, et particulièrement en Allemagne. Cette participation des salariés, objet d’étude en management, est à l’origine de nombreux processus de participation étudiés en sciences sociales.
En droit public, le principe de participation selon lequel le public doit être associé aux prises de décisions a fait l’objet d’une reconnaissance progressive. Le principe 19 de la Déclaration de Stockholm du 16 juin 1972, la recommandation 97 du plan adopté à l’issue de cette conférence, l’article 23 de la Charte mondiale de la nature du 28 octobre 1982, puis le principe 10 de la Déclaration de Rio adoptée le 12 août 1992 ont évoqué ce principe, jusqu’à sa définition précise, telle que présentée ci-dessus. La jurisprudence internationale puis les transpositions de ce principe en droit de l’Union européenne puis en droit français ont étendu la notion de public. Le public concerné par la participation ne se limite effectivement pas nécessairement aux citoyens mais inclut aussi les Organisations de la société civile (OSC). Ces OSC comprennent notamment les Organisations non gouvernementales, syndicats, médias, universités, groupes confessionnels ou organisations de jeunesse. Ce sont finalement toutes les entités potentiellement affectées par une activité particulière qui peuvent être concernées par les mécanismes participatifs.
Cette définition juridique du participant comme entité potentiellement affectée par l’activité des entreprises ou des pouvoirs publics – à l’instar de la notion de parties prenantes – complète les deux visions théoriques précédentes, celle de l’aspect moral mis en avant par S. Arnstein et celle du fonctionnement concerté mis en évidence par E. Ostrom et ses successeurs. Ces deux approches s’affranchissent de la présence de l’État et du rôle des pouvoirs publics en général ; pourtant, pour dépasser l’éventuelle ambiguïté du principe moral, d’une part, et le caractère improbable d’une généralisation de la concertation volontaire, d’autre part, il est possible de souligner l’intérêt d’une intervention publique, notamment fondée sur une approche républicaniste, particulièrement dans les domaines des nuisances et du changement climatique.
Références
ARNSTEIN Sherry R., « A Ladder of Citizen Participation », Journal of American Institute of Planners, 1969, vol. 35, n° 4, p. 216-224.
BACQUE Marie-Hélène, SINTOMER Yves, La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte, 2011.
HARDIN Garrett, La tragédie des communs, Paris, PUF, 2018 (1re éd. 1968).
OSTROM Elinor, Governing the commons: The evolution of institutions for collective action, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
VIANDIER Alain, La notion d’associé, Paris. LGDJ, 1978.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (15 mars 2023). “Participation” dans l’Encyclopédie du management public, par Florian Favreau. Public ! Consulté le 17 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwaq
