“Agilité organisationnelle” dans l’Encyclopédie du management public, par Pierre Marin
L’Encyclopédie du management public, publiée en 2022 par l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) sous la direction scientifique de Manel Benzerafa-Alilat, Danièle Lamarque et Gérald Orange, propose à travers 220 entrées rédigées par 150 chercheurs et praticiens spécialistes de rendre compte des concepts, théories et écoles de pensée qui caractérisent le management public, en France comme à l’étranger, tout autant que des grandes évolutions qu’ils ont connues. En s’intéressant également à leur contexte d’apparition, à leurs modalités concrètes d’application, à leurs résultats et leurs limites, cet ouvrage permet d’éclairer toutes les phases de l’action publique, depuis sa conception jusqu’à l’évaluation de ses résultats. Avec le souci de diffuser les savoirs en gestion publique, et en écho aux travaux et publications du bureau de la recherche de l’IGPDE, l’équipe de rédaction du blog « Public ! » vous propose de découvrir progressivement une sélection d’entrées de cet ouvrage.
Par Pierre MARIN
La notion d’agilité apparaît dans les années 1990 suite aux interrogations de Roger Nagel et Rick Dove (1991) sur la pérennité du modèle industriel et économique face au lean management développé par les Japonais. Cette notion est aussi associée à la rédaction de l’Agile ‘Software Development’ Manifesto rédigé par des experts en solutions informatiques aux États-Unis en 2001. Le terme « agile » s’est répandu dans les organisations privées, notamment à travers la création de nombreuses méthodes se réputant « agiles » comme Scrum ou eXtreme Programming, par exemple. Au cœur de ces démarches réside principalement un développement rapide basé sur la confiance en l’expertise et la bonne volonté des acteurs du projet d’une part, et une approche itérative reposant sur une forte participation du « client » ou de l’utilisateur tout au long de la construction de la solution applicative ou, plus globalement, du projet, d’autre part. Dans ce sens, les logiciels considérés comme « agiles » sont des applications qui permettent de collaborer avec les utilisateurs afin de les améliorer régulièrement et de permettre des évolutions prenant en compte les changements de l’environnement qui peuvent être de différentes natures (technologiques, légaux, etc.).
Selon Maria Mercanti-Guérin (2013), la pression concurrentielle a tendance à renforcer les capacités agiles des organisations qui sont directement connectées à leur flexibilité, adaptabilité et réactivité. S’agissant des organisations publiques – évoluant désormais dans un contexte contraint et évolutif – l’agilité consiste à développer des capacités leur permettant d’ajuster rapidement les services rendus au regard des besoins des usagers. Ainsi, celles d’entre elles soumises à une pression concurrentielle importante auraient tendance à renforcer leurs capacités agiles (MERCANTI-GUÉRIN, 2013). Cette pression est aujourd’hui une réalité entre les territoires pour attirer touristes, habitants, entreprises, etc. au niveau national mais aussi international.
L’agilité doit provoquer ou développer des facultés d’anticipation mais aussi de créativité (BASKERVILLE et al., 2005), ce qui connecte l’agilité organisationnelle avec l’impératif d’innovation dans les organisations publiques. Dès lors, l’agilité organisationnelle implique de s’interroger sur les habitudes de travail, mais aussi les modes de pensée au sein de l’organisation afin de permettre une transformation organisationnelle. Il ne s’agit pas de porter des transformations totales impliquant une déstabilisation des services, mais plutôt des ajustements simples, rapides et alignés avec les mutations de l’environnement et les besoins des usagers (DYER, SHAFER, 1998).
Les leviers de l’agilité se distinguent en deux catégories : stables et reconfigurables (DYER, SHAFER, 1998). Les premiers sont relatifs à la permanence de l’organisation (vision et valeurs partagées) alors que les seconds reposent sur un triptyque « ressources humaines – processus et services – relations usagers » (CHARBONNIER, 2006). S’agissant des ressources humaines, l’agilité conduit à une mobilisation accrue des agents, un management simplifié et plus horizontal, des équipes intergénérationnelles et pluridisciplinaires se construisant et se défaisant au gré des projets. Ensuite, l’agilité est en lien avec les processus et services rendus via la réduction des délais d’instruction ou de production des services publics, l’adaptation des services à la demande des usagers et leur satisfaction, la modification de l’organisation pour exploiter les opportunités nouvelles naissant avec le changement (CHARBONNIER-VOIRIN, 2011). Enfin, l’agilité donne de l’importance à la relation avec les usagers qui doit permettre de créer un relationnel de proximité, une confiance et une fidélisation envers les services.
L’agilité organisationnelle pour les structures publiques consiste à repenser les services publics dans une dynamique transformative en intégrant l’avis de l’ensemble des parties prenantes – en les consultant ou les associant aux travaux – afin de proposer une offre de qualité et adaptée à son environnement et à ses contraintes financières, réglementaires, etc. L’agilité pousse alors les organisations publiques à gagner en transversalité et flexibilité dans les processus, afin d’améliorer les performances collectives et individuelles tout en proposant des services modernes et efficaces à un public toujours plus exigeant. Toutefois, quelques freins empêchent l’agilité de se déployer. Tout d’abord, la centralisation des décisions au niveau de l’État s’agissant de la France, peut contraindre les niveaux infra à prendre des décisions rapides et adaptées aux territoires concernés. Ensuite, la taille importante des structures publiques conduit à une grande complexité de leurs modes de fonctionnement ainsi qu’à une forte inertie dans la prise de décision. Enfin, culturellement, l’innovation, la responsabilisation au niveau le plus adapté ou la prise de risque sont encore des leviers à activer pour rendre les organisations publiques plus agiles.
Références
BASKERVILLE Richard, MATHIASSEN Lars, PRIES-HEJE Jan, DE GROSS Janice, “Business Agility and Information Technology Diffusion”, International Working Conference, May 8-11, 2005, Atlanta, New York Inc, Springer-Verlag, 2005.
CHARBONNIER Audrey, « L’agilité organisationnelle : un nouveau défi pour la GRH », 27e congrès de l’AGRH, « Le travail au cœur de la GRH », Reims, 16 et 17 novembre 2006.
CHARBONNIER-VOIRIN Audrey, « Développement et test partiel des propriétés psychométriques d’une échelle de mesure de l’agilité organisationnelle », M@n@gement, 2011, vol. 14/2, p. 119-156.
DYER Lee, SHAFER Richard, “From Human Resource Strategy to Organizational Effectiveness: Lessons from Research on Organizational Agility”, CAHRS Working Paper, 1998, NY, Cornell University, School of Industrial and Labor Relations, Center for Advanced Human Resource Studies.
MERCANTI-GUERIN Maria, « Les mashups : une illustration de l’agilité en marketing », Décisions Marketing, 2013, vol. 7/1, p. 125-135.
NAGEL Roger, DOVE Rick, 21st Century Manufacturing Enterprise Strategy: Infrastructure, Collingdale, Diane Pub Co, 1991.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (22 mars 2023). “Agilité organisationnelle” dans l’Encyclopédie du management public, par Pierre Marin. Public ! Consulté le 17 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwar
