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Expérimenter ou manager la qualité en contexte public ?, par Alvin Panjeta

Les universités françaises se transforment à un rythme accéléré depuis l’adoption de la loi portant sur les libertés et les responsabilités des universités de 2007, qui leur a conféré une autonomie de gestion. Dans ce nouveau paysage universitaire, c’est la gestion des établissements qui devient l’enjeu majeur. Le livre que nous présentons ici est issu d’une thèse de doctorat en management public qui s’intéresse au déploiement d’un outil de gestion inspiré par le New Public Management, à savoir une démarche qualité, mise en place dans le but d’améliorer l’efficacité des services administratifs d’une université. C’est en partant d’une expérience vécue, progressivement mise en doute, puis transformée en réflexion académique, que nous nous sommes interrogé sur les effets de l’instrumentation de gestion en usage, en portant une attention particulière d’une part aux surprises surgissant dans l’action, et, d’autre part, à la manière dont les acteurs négocient les effets produits. L’ouvrage montre ainsi l’importance de l’expérimentation comme méthode de transformation des organisations publiques à condition de prendre au sérieux les surprises situationnelles, et propose une redéfinition du rôle du manager public.


Par Alvin PANJETA


Je m’appelle Alvin Panjeta, je suis maître de conférences en sciences de gestion et du management à l’IAE de Paris-Est et chercheur à l’Institut de recherche en gestion. Je vous présente aujourd’hui mon livre : Expérimenter la qualité à l’université, version remaniée de ma thèse de doctorat, réalisée à l’IAE de Paris. Ce livre, primé par les éditions L’Harmattan, est la résultante de la transformation d’un travail académique en un ouvrage à destination d’un large public.

Comment cette aventure a-t-elle commencé ?

Avant la transformation de la thèse en livre, il y a eu une autre transformation, celle du manager public que j’étais en chercheur. En effet, avant ma thèse, j’avais été en charge de l’amélioration de la qualité des services administratifs d’une université. Ma mission consistait à aider à améliorer la qualité dite interne, c’est-à-dire celle qui caractérise les services administratifs dans leurs relations quotidiennes, en mettant en place des groupes de travail chargés de modéliser les processus de gestion administratifs à l’aide d’un logiciel. Prenons l’exemple du processus de recrutement. Ce processus implique de très nombreux acteurs d’une université, mais aussi de nombreux outils de gestion et la prise en compte d’une réglementation pléthorique. Il s’agissait ainsi de modéliser l’ensemble de ces éléments avec les experts métier, afin, d’une part, de clarifier le processus de recrutement à l’université ; et d’autre part, de l’améliorer grâce à des indicateurs de suivi.

Comment une mission opérationnelle est-elle devenue le sujet d’une thèse de doctorat ?

Cette mission m’a littéralement passionné, mais aussi beaucoup interrogé, notamment en raison des difficultés manifestes à faire correspondre les principes théoriques du management de la qualité à la complexité de la réalité d’une organisation publique. Doutant du sens même de ma mission, je me suis alors plongé dans de multiples lectures académiques qui m’ont beaucoup aidé à mettre des mots sur les réalités vécues. Mais ces lectures n’éclairaient pas pour autant tout ce que je pouvais vivre et observer au sein des groupes de travail qualité. J’avais besoin de réduire l’écart entre la littérature académique et la pratique administrative. Et c’est là que la philosophie pragmatiste m’a aidé.

Qu’est-ce donc que le pragmatisme ?

Le terme “pragmatisme” se réfère à un courant de philosophie né à la fin du 19ᵉ siècle aux États-Unis et qui, en un mot, s’intéresse aux conséquences de nos pensées et de nos actions. Pour moi, il s’agissait d’une puissante grille d’analyse pour comprendre l’expérience des groupes de travail qualité, et tout particulièrement les conséquences de la manière dont les acteurs publics s’arrangent avec un outil inspiré par le New Public Management.

Quelle est l’originalité de cette recherche ?

Alors, il existe, d’une part, beaucoup de travaux critiques sur le New Public Management qui en montrent les limites et méfaits ; et d’autre part, beaucoup de travaux, que l’on pourrait qualifier d’ingénieriques, qui visent à améliorer les outils de gestion promu par le New Public Management. Tout en reconnaissant l’apport de ces deux approches, l’originalité de mon travail a été de partir des situations de gestion vécues et de comprendre ce qui se passe dans ces situations sans a priori. Je me suis intéressé aux discours, gestes et documents produits, et chemin faisant, j’ai pu repérer un potentiel d’action là où on ne l’attendait pas. Je me suis plus spécifiquement intéressé à l’appropriation du logiciel de modélisation des processus de gestion, ce qui m’a permis de comprendre comment les agents publics œuvraient à adapter le logiciel à leurs besoins et à transformer un outil de conformation et de standardisation des pratiques en un objet encourageant le débat public.

Quels sont les principaux enseignements de ce livre ?

Mon livre montre qu’il est possible d’améliorer la performance publique, mais pas à coup de recettes magiques prédéterminées, nourries par telle ou telle idéologie, quelle qu’elle soit. Pour que nos services publics s’améliorent, il faut d’abord être attentif à ce qu’ils produisent au quotidien, et plus précisément encore, attentif aux effets inattendus que toutes les contradictions qui les traversent favorisent. Ensuite, il convient d’analyser collectivement ces surprises, générées dans et par l’action, et déchiffrer leurs discours, à des fins d’amélioration. Concrètement, la modélisation de processus de gestion à l’aide du logiciel dédié a produit, au cours de ma mission opérationnelle, des résultats parfois aux antipodes de ceux qui étaient attendus par un usage prescrit du logiciel. J’ai ainsi vu une multitude de représentations atypiques de processus, qui étaient pourtant censés être uniformes et compris de tous. Mais plutôt que de ne pas prêter attention à ces bizarreries et anomalies, voire à chercher tout simplement à les éliminer, mon travail montre l’intérêt à les prendre au sérieux et en tirer des idées pour agir. Alors oui, soyons attentifs à ce que l’action publique produit d’original et d’insolite. Ne cherchons pas trop vite à corriger ces écarts en voulant reprendre le contrôle sur les situations. Ne nous contentons pas d’appliquer des normes de façon dogmatique, mais regardons plutôt quels effets elles produisent et dégageons de là du potentiel pour une meilleure qualité de service. Bref, osons expérimenter. Pour cela, gardons-nous cependant de céder trop vite au réflexe institutionnel, qui revient à considérer que le fin mot de l’expérimentation est la création de lieux dédiés à l’expérimentation. Plutôt, cherchons à développer ce que les pragmatistes appellent une attitude expérimentale, par toutes sortes de moyens, à commencer par la formation même des managers publics. Cette attitude expérimentale nous permettra, à terme, de ne plus avoir peur des surprises et de développer une culture de discussion des normes à des fins d’amélioration de l’action publique.  

Alvin PANJETA

Maître de conférences à l’IAE de Paris Est – UPEC, chercheur à l’IRG (UPEC/UPEM).


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (1 mars 2023). Expérimenter ou manager la qualité en contexte public ?, par Alvin Panjeta. Public ! Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwao


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