Les enjeux du leader advocacy, par Pascale Barillot
Propos recueillis par Eliott SIEGLER
Je suis Eliott Siegler, cofondateur d’AmazingContent, la solution de gestion des comptes sociaux des dirigeants, qui est utilisée aujourd’hui par plus de 80 entreprises, dont des directions de la communication. Pascale Barillot a été directrice de la communication dans plusieurs grands groupes du secteur public, notamment Pôle emploi. Elle fait également du conseil en communication, notamment auprès de dirigeants. Elle est enfin vice-présidente de l’association Communication publique(1). Nous la recevons aujourd’hui pour discuter de communication des dirigeants sur les réseaux sociaux.
Quels sont les bénéfices du leader advocacy(2) et pourquoi cette démarche de prise de parole des dirigeants sur les réseaux sociaux, déjà importante auparavant, est-elle devenue vraiment critique depuis la pandémie ?
Je ne sais pas si c’est critique aujourd’hui. Je vais vous donner ma façon de voir les choses. D’abord, on peut constater que c’est une tendance qui se développe, c’est-à-dire que les dirigeants prennent de plus en plus la parole sur les réseaux sociaux et l’ère des dirigeants dont la devise était « Pour vivre heureux, vivons cachés », est à mon avis révolue. Aujourd’hui, les dirigeants ont besoin d’incarner l’organisation, l’entreprise qu’ils dirigent, et ils ont besoin de le faire en particulier sur les réseaux sociaux, et sans filtre. Quand je parle des dirigeants, je ne parle pas seulement du patron : ce sont les dirigeants au sens large. Les membres des Comex, des comités de direction, les patrons de région… Parce qu’une entreprise, une organisation, cela s’incarne au quotidien sur le terrain. Le plaidoyer que l’on doit faire vis-à-vis de ces dirigeants, c’est : « Prenez la parole, incarnez, parce que vous avez des publics, vous avez des collaborateurs, vous avez des clients, vous avez des usagers qui ont besoin que vous expliquiez ce que vous faites. » À quelles fins, plus précisément ? D’abord, cela va vous permettre de défendre votre marque employeur, pour développer la fierté d’appartenance de vos collaborateurs. C’est un point extrêmement important. Ensuite, vous allez pouvoir communiquer de façon institutionnelle sur votre marque, sur ce que vous faites, sur vos engagements. Cela permet en outre d’expliquer quels sont vos services et comment vous travaillez au quotidien. Enfin, vous allez pouvoir entrer en communication avec vos usagers, quand ça va bien, mais aussi quand ça va mal.
Oui, l’idée, c’est de ne pas se réveiller au moment où il y a une crise…
C’est exactement cela. Trop souvent, les directeurs de la communication (dircom) sont sollicités quand il y a des ennuis, un bad buzz(3), par exemple. Ce n’est pas dans un tel contexte qu’il faut découvrir les réseaux sociaux. C’est en amont et calmement, il faut prendre la parole. Le jour où ça va mal, on prend la parole aussi tranquillement que d’habitude pour expliquer ce qui se passe.
Comment se préparer à la mise en place d’un programme de leader advocacy ? Au sein de l’organisation, la direction de la communication a certainement un rôle spécifique à jouer. Quels sont les tenants et les aboutissants de cette démarche pour la direction de la communication ?
J’aurais tendance à dire que son premier rôle, c’est d’être exemplaire. Et le premier rôle pour les directions de la communication, c’est de s’engager et de communiquer sur les réseaux sociaux, même si c’est une discipline qui demande du temps et du travail. Ensuite, il va falloir convaincre les dirigeants qu’aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux qu’une réputation se forge… et qu’elle peut se défaire. La presse, c’est bien, mais cela ne suffit pas. Ensuite, la direction de la communication va former et accompagner. Ce qu’il faut savoir, c’est que la communication est un métier. Et comme tous les outils de communication, l’utilisation des réseaux sociaux, cela s’apprend. Il y a des codes, il y a des règles à respecter. Ce sera le rôle de la Direction de la communication que d’accompagner et de former. Il y a enfin un travail à mener sur le fond : dans le jargon, on parle de « curation ». Il s’agit de faire émerger les sujets, les thèmes sur lesquels l’organisation va pouvoir s’exprimer.
Le Chief executive officer (CEO), ou en tout cas le directeur général, ne peut donc pas être le seul à incarner aujourd’hui son organisation en raison de cette diversité de sujets. C’est là qu’il est intéressant d’avoir à chaque fois l’expert le plus pointu sur chacun de ces sujets.
Clairement, oui. Le dernier point, c’est qu’il va falloir globalement organiser ce qu’on appelle l’employee advocacy, c’est-à-dire la prise de parole des collaborateurs de l’entité sur les réseaux sociaux. C’est une démarche qui prend sa source dans le leader advocacy et qui va être encouragée par la direction de la communication.
Donc une phase d’exemplarité importante. Voit-on émerger un rôle particulier, au sein des équipes de communication, pour porter ces programmes ?
Il y a toutes sortes d’organisations. À chaque fois que je me rends dans une direction de la communication, je vois une organisation différente. Au départ, souvent, cela partait de l’équipe qui gérait les réseaux sociaux, qui accompagnait de façon plus ou moins organisée les dirigeants dans leur prise de parole. Et petit à petit, cela s’est professionnalisé, avec les outils qu’on leur a apportés. Les équipes de comm’ interne, qui sont souvent devenues des équipes « engagements collaborateurs » qui portent le projet d’entreprise, ont aussi cette fonction-là. Mais il n’y a pas de modèle type.
Il n’y a pas de modèle type, donc chaque organisation est unique, comme chaque dirigeant qui d’ailleurs, pour se lancer, peut parfois rencontrer un certain nombre de freins aujourd’hui. Vous parliez au début du fait que c’est une tendance qui s’accélère. Quels sont ces freins ? Il y a effectivement des questions de code. Appréhender ces plateformes, c’est important. J’imagine qu’il y en a d’autres…
Il y a des dirigeants qui y vont sans frein. Ça, c’est la première chose. Après, pour certains, c’est plus compliqué. Le premier argument qu’on va vous donner qui est, pour moi, un prétexte, c’est le manque de temps. On peut aussi invoquer le manque d’inspiration : « Moi, j’ai un vrai métier. » Cela cache souvent autre chose, en particulier, une peur et une méconnaissance des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont réputés pour véhiculer des fake news, pour être le terrain de jeu favori des haters. Les haters, ce sont les gens qui ne vous veulent pas du bien. Je pense que tout cela est lié à un manque de formation, car il existe des réponses que l’on peut apporter assez facilement. Dans la sphère publique, il y a une forme d’autocensure vis-à-vis des réseaux sociaux, les dirigeants de la sphère publique considérant que les réseaux sociaux sont le terrain de jeu des politiques et qu’eux-mêmes sont plutôt dans un domaine de production, qu’ils n’ont pas besoin d’exister sur les réseaux sociaux. Un des grands sujets quand on est opérateur d’un service public, c’est ce qu’on appelle le non-recours aux droits. C’est-à-dire que vous avez des usagers qui ont des droits et parce qu’ils ne les connaissent pas, ils n’y ont pas recours. Ces usagers rencontrent d’autres difficultés. Aujourd’hui, tout le monde est présent sur les réseaux sociaux et c’est un moyen assez simple de faire connaître ces droits. C’est la raison pour laquelle j’incite la sphère publique à s’exprimer sur les réseaux sociaux.
Nous avons abordé les bénéfices de cette communication. Au début de cet entretien, il était question de notoriété, de marque employeur. La sphère publique a aussi besoin de forces vives pour fonctionner, pour anticiper les crises, etc.
Comment mesurer plus concrètement le succès d’un programme, au-delà de ces bénéfices évidents ? Comment savoir qu’on va dans le bon sens, quand on se lance dans ce type de programme ?
Il n’y a selon qu’un seul juge de paix : l’image. Il ne faut pas s’inventer des followers, ce qui compte, c’est l’engagement. Et l’engagement donne des bénéfices d’image. Donc je pense qu’il ne faut pas chercher pendant des heures à trouver des grilles, des codes de lecture. L’image s’améliore quand on est présent, quand on répond avec sincérité, avec transparence. Progressivement, l’image s’améliore. Havas a sorti une étude intéressante : pour les groupes du CAC 40, 35 % de la capitalisation boursière est directement liée à leur réputation. On voit bien l’importance aujourd’hui de préempter ces espaces et de s’assurer qu’on parle de son organisation en bien, ou en tout cas, qu’on maîtrise la manière dont les gens parlent de l’organisation.
Et clairement, c’est un virage que la sphère publique doit prendre elle aussi. Elle a d’ailleurs commencé à le faire.
Une astuce pour des leaders qui souhaiteraient se lancer au quotidien ? On a évoqué la formation, on parle beaucoup d’authenticité. C’est quelque chose qui est important aujourd’hui sur ces plateformes, n’est-ce pas ?
L’authenticité, la sincérité. Quand on est sur les réseaux sociaux, il faut accepter de lâcher prise, d’avoir une communication moins aseptisée, plus sincère, depuis la tête de l’entreprise jusqu’au terrain. De toute façon, si ce n’est pas le cas sur les réseaux sociaux, cela se voit très vite. Ensuite, je pense qu’il faut accepter de prendre part au débat, d’écouter, de s’exprimer, d’échanger, de s’engager et de défendre des convictions et des valeurs. Je pense aussi qu’il faut rester modeste. L’entreprise, l’organisation qu’on représente, que les dirigeants représentent, n’est ni parfaite, ni omnisciente, et il faut toujours avoir cela en tête quand on communique en général et sur les réseaux sociaux en particulier. En quelque sorte, on est vite rattrapé par la patrouille. Peut-être un dernier conseil : parler à la première personne. Quand on communique en tant que dirigeant, on s’engage soi-même et on parle de soi-même, de son organisation, de ses convictions.
De l’authenticité, de l’engagement. Pour un directeur ou une directrice de la communication qui souhaiterait demain commencer et se lancer dans cette démarche, quelle serait la première action à mettre en œuvre ? Aller voir son CEO ? Aller voir son équipe et l’aider à prendre la mesure du projet, l’engager ? Mener une communication en interne ?
La première question, c’est : est-il ou non présent sur les réseaux sociaux ? La première chose à faire, c’est d’expérimenter soi-même. C’est essentiel. Et le deuxième point, c’est se faire accompagner par des professionnels. Dans les équipes de comm’, il y a souvent des professionnels. Sur le marché, il y a des professionnels. On n’invente pas l’eau chaude tout seul.
Eliott SIEGLER, Cofondateur et Président de AmazingContent
Pascale BARRILLOT, Vice-présidente de l’association Communication publique
1. https://www.communication-publique.fr/
2. Le leader advocacy désigne la prise de parole des dirigeants et des équipes dirigeantes des organisations sur les réseaux sociaux..
3. Le bad buzz est un phénomène de bouche à oreille négatif qui se déroule et s’amplifie sur Internet.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (13 décembre 2022). Les enjeux du leader advocacy, par Pascale Barillot. Public ! Consulté le 17 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwaf
