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L’application du marketing à l’administration publique, par Thibault Le Texier

Dès les années 1970, le marketing a été appliqué à l’administration publique. Le marketing public traite le citoyen comme un consommateur du gouvernement. Cette application reste cependant modeste. Il n’existe pas de Nouveau marketing public comme il existe un Nouveau management public. Le branding territorial, une pratique plus restreinte que le marketing, est aujourd’hui le principal domaine d’application du marketing à la sphère publique.


Par Thibault Le Texier


Qu’est-ce que le marketing ?

Le marketing est une manière d’articuler une offre et une demande. C’est un art d’unir des consommateurs et des produits par le biais de canaux de distribution. D’un côté, le marketing adapte les produits aux consommateurs, grâce à des études de marché et au ciblage de certains segments. D’un autre côté, le marketing adapte les consommateurs aux produits, au moyen notamment de promotions.

Le marketing a la particularité d’être adaptatif et non coercitif. Il recourt à la carotte mais pas au bâton. C’est un principe clé du marketing : le consommateur est roi. On peut l’influencer mais pas le contraindre. Et on ne l’influence même jamais mieux qu’en le caressant dans le sens du poil.

Le marketing est-il applicable à l’État et à l’administration publique ?

Le marketing a été appliqué au secteur public à partir des années 1970. En 1970, par exemple, la Prévention routière française fonde sa campagne pour le port de la ceinture de sécurité sur une étude de marché. En sondant les automobilistes, il est apparu qu’il valait mieux insister sur la possibilité d’avoir une amende plutôt que sur la possibilité d’avoir un accident. Un conducteur et ses passagers préfèrent boucler leur ceinture pour éviter une amende plutôt que pour éviter un accident. Tout d’abord parce que la perspective de payer une amende n’est pas aussi traumatisante que la perspective d’un accident. Ensuite parce qu’il est plus facile pour un conducteur d’admettre qu’il pourrait se faire prendre par les motards que d’admettre qu’il ne conduit pas très bien. Toujours sur la base d’une étude de marché, cette campagne de prévention routière sera relayée par trois « groupes d’influence », qu’on n’appelait pas encore les « influenceurs » : les compagnies d’assurance, les garagistes et les pilotes de course.

On a donc là une application de la rationalité marketing : une étude de marché, une adaptation aux consommateurs et une communication ciblée.

Quelle est la particularité du marketing public ?

Le marketing public considère l’administration et les services publics comme des distributeurs de produits devant satisfaire des clients. Le citoyen est ainsi défini comme un consommateur. Il faut lui adapter les produits et s’assurer de sa satisfaction. Chaque interaction entre fonctionnaires et usagers (entre un policier et un automobiliste par exemple, ou un agent ANPE et un chômeur), est une opportunité de créer des clients satisfaits, de les fidéliser et d’engendrer un bouche-à-oreille positif.

Quelle est la différence entre le management public et le marketing public ?

Il y a souvent une dimension marketing dans le management public. En 1992, le best-seller qui popularise la notion de « Nouveau management public » redéfinit les citoyens comme des clients.

Le best seller à l’origine du New Public Management

Selon lui, les administrations publiques doivent cesser de proposer des produits génériques, comme l’éducation publique ou le logement social. Elles doivent donner aux contribuables la possibilité de consommer des offres différenciées. De même que les managers doivent être redevables devant leurs clients, de même les directeurs d’école doivent être redevables devant les parents d’élèves. Les fonctionnaires sont priés de se mettre à l’écoute des citoyens-consommateurs au moyen de sondages, d’entretiens individuels, de rapports internes et de numéros verts.

En pratique, comment est appliqué le marketing public ?

Le marketing public est d’abord appliqué aux États-Unis. En 1993, un décret signé par Clinton et son vice-président Al Gore, alors conseillé par l’un des auteurs du best-seller que je viens de citer, vise par exemple avant tout à « faire passer les clients en premier ». Selon ce décret, je cite, « le gouvernement fédéral doit être orienté-client. La norme de qualité des services fournis au public doit être : un service à la clientèle égal aux meilleures entreprises. » Les agences gouvernementales américaines fournissant des services au public doivent ainsi entreprendre les actions suivantes, je cite encore :

  • identifier les clients qui sont, ou devraient être, servis par l’agence;
  • mener une enquête auprès des clients pour déterminer le type et la qualité des services qu’ils souhaitent et leur niveau de satisfaction par rapport aux services existants;
  • comparer les performances du service à la clientèle avec les meilleures pratiques commerciales;
  • offrir aux clients un éventail de choix de service et de formes de prestation.

Ceci étant, le marketing public a eu pour l’instant beaucoup moins de succès que le management public. Il n’y a pas de Nouveau marketing public comme il existe un Nouveau management public. Si le client est roi dans le secteur privé, les choses sont plus compliquées dans le secteur public. On ne saurait par exemple satisfaire les parents racistes qui souhaitent des écoles ségrégées.

Et le branding territorial ?

Le « branding territorial » est sans doute le domaine politique où la rationalité marketing a été appliquée avec le plus d’ardeur. Le thème apparaît au début des années 1990. Il s’agit de transformer les territoires en « destinations » attractives proposant une « offre » sous la forme d’un « package » d’expériences, d’émotions et de souvenirs garantis par une « marque ». Les cibles sont  les investisseurs étrangers, les travailleurs qualifiés, les touristes et les consommateurs des produits d’exportation du territoire. Concrètement, comment ça se passe ? Pour sortir du lot, une ville peut bâtir un bâtiment spectaculaire dessiné par un architecte de renommée mondiale, qui servira éventuellement de logo territorial (comme le musée Guggenheim pour Bilbao).

Le muséee Gugggenheim à Bilbao

L’accueil d’un événement culturel ou sportif très médiatisé est également recommandé (une ville peut accueillir par exemple les jeux olympiques, une foire d’art contemporain ou un festival de cinéma). Et l’accueil de tournages de films permet quant à lui le placement de produits territoriaux. Dans certains cas, la ville, la commune, le département ou la région vont jusqu’à changer de nom, pour supprimer par exemple des termes négatifs (comme « inférieur » ou « bas ») et ajouter au contraire des termes valorisants (comme « roses » ou « maritime »).

Le marketing public reste donc limité ?

L’application de la rationalité marketing au secteur public reste très restreinte. Souvent l’offre de services publics ne peut pas être adaptée à différents segments de clientèle, on l’a vu dans le cas de l’école. La fonction publique reste assez imperméable à la culture marketing. Le best-seller que j’ai mentionné plus tôt regrettait, je cite, que « peu d’agents de la fonction publique utilisent le mot client », et la plupart « ne savent même pas qui sont leurs clients ».

Dans le cas du branding territorial, l’application du marketing est freinée par de multiples facteurs : la clientèle cible est fortement hétérogène ; les agences pilotant le marketing territorial dépendent souvent d’élus cherchant à rester en poste ; ces agences ont un pouvoir et un budget souvent très limité ; il faut faire également avec une histoire gravée dans la pierre, avec la morphologie du territoire et sa localisation, avec une population qu’on ne change pas par décret ; l’image d’une ville ou d’un pays dépend de milliers d’acteurs indépendants opérant à diverses échelles ; et les partenariats public-privé peuvent se révéler fort laborieux. Bref, le marketing ne se transplante pas facilement en dehors de l’entreprise.

Thibault Le Texier

Chercheur associé au CESSP

POUR EN SAVOIR PLUS

Thibault Le Texier est l’auteur de:

La Main visible des marchés : une histoire critique du marketing (La Découverte, 2022)

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
public (21 octobre 2022). L’application du marketing à l’administration publique, par Thibault Le Texier. Public ! Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pwac


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